Préface de Joseph Agassi
Le présent ouvrage stimule le débat sur le nationalisme à l'égard de mon propre pays. L'auteur se penche sur la remise en question du mythe selon lequel Israël protège tous les juifs et constitue ainsi leur patrie naturelle à tous. À juste titre, le livre démontre que ce mythe est anti-juif. Les Israéliens, pour la plupart, prennent ce mythe pour le sionisme, soutenant que nous ne pourrons véritablement accéder à l'indépendance que le jour du rassemblement intégral des diasporas. Dans ce contexte, la question vitale pour les juifs du monde est la suivante : les intérêts d'Israël concordent-ils avec ceux des juifs de la diaspora ou entrent-ils au contraire en conflit avec eux?
Or, pour l'idéologie sioniste actuelle, il s'agit là d'une question tabou. Le pire est que cette idéologie considère l'antisémitisme comme inéluctable et Israël comme le seul endroit au monde où les juifs puissent se trouver en sécurité. Ce concept est essentiellement antidémocratique : il nie a priori la valeur de l'émancipation des juifs dans l'ensemble du monde moderne. Il sert aussi à justifier l'exigence sioniste de voir tous les juifs soutenir Israël, souvent aux dépens des intérêts nationaux des pays dans lesquels ils vivent. La plupart des dirigeants de la diaspora n'ont pas de meilleur programme que de défendre Israël en se fondant sur le principe vicié suivant : « mon pays, qu'il ait raison ou tort ».
Les gouvernements israéliens se comportent donc comme les dirigeants d'une communauté qui se trouve encore dans un ghetto et balaient du revers de la main les intérêts des non-juifs d'Israël, de sorte qu'Israël demeure perpétuellement en état de guerre, car un ghetto muni d'une puissante armée est dangereux.
Cet ouvrage montre pourquoi il est important de se débarrasser du mythe en question. Car c'est précisément ce mythe qui empêche de nombreuses personnes, y compris les juifs d'Israël, de reconnaître l'authenticité de la position adoptée par les rabbins antisionistes, d'admettre que cette position est tout à fait fidèle à la tradition juive. La reconnaissance de la légitimité de l'antisionisme religieux est essentielle au débat sur Israël et le sionisme. Étant donné que les sionistes, tant juifs que chrétiens, nient toute légitimité à l'antisionisme, ce débat demeure étouffé de nos jours.
L'importance de se familiariser avec l'antisionisme fondé sur la Torah n'est que trop évidente ; l'ignorer ne fait que renforcer le culte de la vache sacrée du sionisme moderne. Et cela comprend les thèses de la nature centrale d'Israël dans la vie juive partout dans le monde et du droit du gouvernement israélien de parler au nom des juifs de la diaspora. Ce culte stipule également que les juifs non israéliens ne peuvent exprimer aucun désaccord avec quelque position officielle d'Israël que ce soit. Dernièrement, un congrès sioniste a assimilé toute opposition au sionisme à de l'antisémitisme, une déclaration qui a de graves conséquences pour de nombreux juifs dans le monde entier, y compris en Israël. Rendre illégitime la moindre remise en question des positions officielles d'Israël est tout simplement scandaleux, et la critique que contient cet ouvrage n'est qu'un début de cette remise en question.
On ne saurait nier l'importance, sur le plan intellectuel, d'une pensée claire, notamment de la capacité d'établir des distinctions entre les concepts. Peut-être son importance sur le plan pratique est-elle moins évidente. C'est là que le présent ouvrage devient particulièrement utile. Se fondant sur des documents historiques importants mais peu connus, il démontre toute la différence qui existe entre ces concepts : le sionisme, le judaïsme ; Israël en tant qu'État, en tant que pays, en tant que territoire, en tant que Terre sainte; les juifs (les Israéliens et les autres), les Israéliens (juifs et non-juifs), les sionistes (juifs et chrétiens) et les antisionistes (encore une fois juifs et chrétiens). Quand on parle d'État juif pour désigner Israël, par exemple, cela donne lieu à une confusion aussi réelle que dangereuse entre la foi et la nationalité.
On n'a pas besoin d'être religieux pour protester contre le recours par Israël à des arguments religieux. Je ne suis pas religieux et je ne cède pas à la mode actuelle parmi les intellectuels israéliens d'éreinter le sionisme et son histoire. Or, en tant que patriote israélien et en tant que philosophe, je considère qu'il est essentiel d'intégrer le discours de l'antisionisme judaïque dans le débat public sur notre passé, notre présent et notre avenir, un débat dont nous avons grand besoin.
Joseph Agassi
Membre de la Société royale du Canada
Université de Tel-Aviv et Université York, Toronto
Pages Web: http://www.tau. ac.il/-agass/
Ce livre est édité par les Presses de l'Université Laval
Le Sionisme en question – Analyse critique et psychanalyse d’une idéologie nationaliste