http://www.pardem.org/actualite/en-bref/759-reconnaitre-le-fait-nucleaire-nord-coreen
[SUITE DE LA 2ème PARTIE]
Après la guerre
Les souvenirs de ces horreurs restent marqués dans la mémoire des survivants et de leurs descendants. Ils forment la base de l’état d’esprit du peuple nord-coréen fait d’un mélange de haine et de peur. Les bombardements ont renforcé la cohésion du peuple uni contre les Américains et soutenant les dirigeants de la dynastie des Kim.
Le Sud a été beaucoup moins détruit que le Nord, et grâce aux fonds occidentaux, principalement américains, a pu reprendre assez rapidement le chemin du développement. La situation politique, cependant, est instable. Pour rester au pouvoir Syngman Rhee impose la loi martiale, modifie à son avantage la Constitution, truque les élections, ouvre le feu sur les manifestants, exécute les dirigeants de l’opposition. Il remporte ainsi les élections de 1952 et de 1960 avec un résultat officiel de 90%. Les étudiants descendent alors dans la rue, convergent avec la foule vers le palais présidentiel. La CIA exfiltre son dictateur et l’exile à Honolulu. Parallèlement, les Américains imposent un embargo pour affaiblir le Nord. Une pression permanente est exercée depuis sur le Nord. En 1994, Bill Clinton menace par exemple d’une frappe préventive. Un plan secret existe, appelé OPLN 5015, pour « détruire la Corée du Nord ».
Les États-Unis introduisent des armes nucléaires en Corée en juin 1957 et ne respectent donc plus le paragraphe 13 (d) de l’accord d’armistice qui interdisait l’introduction de nouvelles armes. En janvier 1958, ils mettent en place des missiles nucléaires capables d’atteindre Moscou et Pékin. Ils les conserveront jusqu’en 1991. Ils ont voulu les réintroduire en 2013, mais le Premier ministre sud-coréen, Chung Hong-won, a refusé.
George Bush junior inscrit la Corée du Nord dans la liste des États constituant l’ « axe du mal », et fait de celle-ci un État « voyou » dont il faut hâter la destruction. En 2011, Barack Obama avait donné son feu vert à des opérations d’entrave, notamment par le biais électronique, du programme balistique nord-coréen. (New York Times, mars 2017).
L’invasion de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Syrie, le bombardement de la Libye, pousse les autorités nord-coréennes à faire de leur politique nucléaire un enjeu majeur, la seule capable, selon eux, d’assurer leur sécurité. D’où leur politique de développement du potentiel nucléaire ponctuée d’essais condamnés par l’ONU qui les sanctionnent, affaiblissant partiellement ce pays sans jamais faire s’effondrer le régime. Celui-ci au contraire se sert des sanctions pour galvaniser le patriotisme de la population.
La crise actuelle
Elle est provoquée par la Corée du Nord qui, en septembre 2016, commence les essais d’un nouveau moteur d’une poussée de 80 tonnes, suffisante au lancement de divers satellites. Les 4 et 8 juillet 2017, elle a effectué des tirs d’un nouveau missile, le Hwasong-14 (étoile de feu, planète Mars en coréen). Sa trajectoire en cloche, à la verticale, et à une hauteur suffisante, servait à démontrer qu’à un angle plus aplati il pourrait parcourir 10 000 km et atteindre Los Angeles, Chicago ou New York. Le 3 septembre 2017 la Corée du Nord a effectué son 6e essai nucléaire, 22 tirs de missiles balistiques avaient eu lieu depuis le début de l’année.
Les États-Unis, au lieu de s’engager dans la voie d’un règlement diplomatique du problème, ont multiplié les provocations :
- Depuis la tribune de l’ONU, le 19 septembre 2017, Donald Trump annonce « un feu et une fureur que le monde n’a jamais vus jusqu’à présent » en cas d’attaque des États-Unis ou de leurs alliés par la Corée du Nord.
- Il envoie un tweet disant que Kim Jong-un « ne serait pas dans les parages encore bien longtemps ». Cette déclaration a été prise comme une déclaration de guerre par Pyongyang. Celle-ci répond que la Charte des Nations unies lui donne « le droit d’abattre les bombardiers stratégiques des États-Unis même s’ils ne se trouvent pas encore dans l’espace aérien de notre pays ».
- Le général McMaster déclare « Nous espérons éviter la guerre avec les Nord-Coréens, mais on ne peut pas écarter cette éventualité ». Le général Mattis annonce « des options pour frapper la Corée du Nord sans mettre Séoul en danger ».
- Trump : « ceux qui font des affaires avec les Nord-Coréens ne pourront plus en faire avec nous » (3 septembre).
Mais, hormis toutes ces déclarations, il existe quelques éléments rassurants :
- Les États-Unis n’ont pas déployé de porte-avions et sous-marins nucléaires dans la région, ni de bombardiers stratégiques.
- L’amiral Harris, chef du commandement américain dans le Pacifique, a dit que la diplomatie devait prévaloir sur l’option militaire.
Quelle est la position des différents pays ?
La Corée du Sud est pour la relance du dialogue intercoréen. Pour elle, aucune action militaire ne doit être engagée dans la péninsule sans que la Corée du Sud le veuille. Elle demande au Nord de mettre fin à ses programmes nucléaires et balistiques et d’amorcer des discussions. Pour cette raison, Trump a d’ailleurs accusé le président sud-coréen Moon Jae-in de faiblesse à l’encontre du Nord.
Poutine a émis des réserves sur les sanctions, tout en les votant, et souhaité l’ouverture d’un dialogue où la Russie pourrait jouer un rôle de médiateur.
Pékin veut éviter le chaos qu’entrainerait la chute du régime nord-coréen. Les rapports sont tendus avec le Nord, mais ce dernier fait 90% de son commerce extérieur avec la Chine. La Chine ne peut pas accepter l’effondrement du régime qui risquerait de déstabiliser la péninsule et de favoriser une réunification ruineuse au profit du Sud, et qui mettrait les troupes américaines sur la frontière chinoise. Même la Corée du Sud ne veut pas entendre parler de cette hypothèse. La Chine propose que la Corée du Nord cesse ses essais nucléaires et balistiques en échange d’un abandon des exercices militaires entre les armées américaines et sud-coréennes. Les Chinois ne veulent pas de guerre avec la Corée ou en mer de Chine, ils préfèrent les affaires.
L’ancien Premier ministre australien, Kevin Rudd, plaide (Le Monde, 14 septembre 2017) pour un « accord international signé avec la Russie et la Chine qui garantisse la sécurité de la Corée du Nord et de son régime et, à long terme, un retrait militaire des Américains de la Corée du Sud ».
À l’ONU le 20 septembre 2017, Emmanuel Macron a développé une position apparemment plutôt intéressante en jugeant « intempestives » les menaces militaires. Même s’il insiste sur la pression des sanctions et le nécessaire engagement de Moscou et Pékin, il s’oppose à l’usage de la force : « nous sommes dans une géographie ou une intervention militaire serait complexe ».
Comprendre la rationalité nord-coréenne
La Corée du Nord a proposé la dénucléarisation de la péninsule, sans succès. Elle était donc fondée à bâtir son arme nucléaire, il ne lui restait plus aucun autre choix.
La politique des sanctions n’a donné aucun résultat et n’a pas permis d’améliorer le sort de la population ni de dresser le peuple contre le régime pour le faire tomber. Cette voie est une impasse qui ne fait qu’aggraver les difficultés du peuple nord-coréen.
En observant l’invasion de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Syrie, du bombardement de la Libye, les Nord-Coréens ont compris que seule la bombe atomique pouvait les sauver car elle fait planer sur de futures agresseurs la menace d’une riposte terrifiante. C’est cette dissuasion, paradoxalement, qui est une arme pour la paix.
C’est à partir de ces éléments de compréhension qu’il est possible de faire des propositions.
Propositions
Le gouvernement français devrait promouvoir un plan en 5 points :
1.- Sa ligne politique reposerait sur deux piliers. En premier lieu, le développement de programmes nucléaires militaires serait strictement encadré par le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968 – entré en vigueur en 1970 – qui réserve son utilisation à cinq pays : Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Chine et URSS/Russie. À ce titre, la France ne peut que désapprouver et condamner l’action de la Corée du Nord en matière nucléaire. Certes elle s’est retirée de cet accord sur le plan juridique, mais politiquement la prolifération nucléaire doit être combattue. En second lieu, cependant, la communauté internationale doit prendre acte du fait nucléaire nord-coréen. Tout le monde doit accepter la réalité : la Corée du Nord est aujourd’hui une puissance nucléaire capable d’atteindre les États-Unis. On ne peut plus demander à la Corée du Nord de renoncer à l’arme nucléaire sans garanties sérieuses concernant sa souveraineté et sa sécurité. Ce serait non seulement complètement irréaliste mais dangereux.
2.- En échange du démantèlement progressif de leurs installations nucléaires et de leurs vecteurs, les Coréens du Nord obtiendraient un traité de paix avec les États-Unis. Il inclurait l’établissement de relations diplomatiques, l’arrêt des manœuvres militaires des États-Unis et de la Corée du Sud à proximité des frontières du Nord, un retrait américain progressif de Corée du Sud, un accord international spécifique avec la Russie et la Chine garantissant la sécurité du régime et du pays. Un second accord international porterait sur l’aide économique.
3.- Reconnaissance diplomatique immédiate de la Corée du Nord par la France. Il faut en effet savoir que, scandaleusement, la France n’a pas de relations diplomatiques avec la RPDC. Seul un Bureau français de coopération a été ouvert le 10 octobre 2011. Ses missions sont essentiellement d’ordre humanitaire et culturel. C’est la promotion du français avec un lecteur de français – un seul ! - qui enseigne à l’Université de Pyongyang. Des stages de formation linguistique de courte durée sont également organisés au profit d’étudiants et d’enseignants de français nord-coréens. C’est aussi la coopération archéologique pour des fouilles sur le site de Kaesong, ancienne capitale du royaume de Koryo (918-1392).
Quant aux échanges commerciaux entre la France et la Corée du Nord ils sont particulièrement ridicules du fait de l’embargo que la France devrait dénoncer unilatéralement : 8,2 millions d’euros en 2016. Aucune entreprise française n’est représentée dans le pays. Les exportations françaises s’élèvent à 2M€ (200ème rang des clients de la France et 0,004% de nos exportations). Les exportations françaises sont essentiellement composées de biens à destination directe de la population (produits alimentaires et organiques, appareils dentaires et médicaux). La Corée du Nord, 153ème fournisseur de la France, représente 0,002 % de nos importations (10M€ constitués d’appareils mécaniques et électriques, de plastique et de caoutchouc).
4.- Une action multilatérale de la France au sein du Conseil de sécurité de l’ONU pour faire accepter ce plan.
5.- Une action bilatérale de la France auprès des gouvernements Nord et Sud-coréen, des États-Unis, de la Chine et de la Russie pour leur présenter le plan.
La tentative par les Américains de détruire ou de dégrader les capacités nucléaires de la Corée du Nord comporte d’énormes risques. Ce serait obligatoirement une riposte de la Corée du Nord, pouvant frapper la Corée du Sud et le Japon puisque les États-Unis y disposent de bases militaires, et les États-Unis eux-mêmes. Par conséquent, ce serait le déclenchement d’une nouvelle guerre de Corée, encore plus étendue territorialement que la précédente. Que feraient la Chine et la Russie qui ont des frontières avec la Corée du Nord, en pareil cas ?
En revanche, proclamer que la Corée du Nord ne pourra plus être attaquée serait un message qui porterait. Les dirigeants de ce pays pourraient être convaincus de ne pas le développement nucléaire militaire, et même le réduire en échange d’un traité de paix et d’une aide au développement économique.
Si ces actions n’étaient pas entreprises, elles confirmeraient le fait que pour ne pas se faire envahir par les Américains il faut posséder la bombe atomique.
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[FIN DE L'ARTICLE]